Au FN, les « filles de » et les « femmes de »

mai 2012
Après la fille, la petite-fille ! Marion Maréchal-Le Pen, 22 ans, candidate Front national dans la 3ème circo du Vaucluse... Les femmes ont-elles la côte à l'extrême-droite ? Sociologue du politique, Christèle Marchand-Lagier suit depuis dix ans des électrices du FN dans la région. Décryptage de leur parcours et de leur discours.

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En quoi l’implantation du FN en Provence-Alpes-Côte d’Azur est-elle spécifique ?

« Nous sommes dans une région où le vote FN est plus décomplexé qu’ailleurs, du fait de l’ancienneté de son implantation. Orange est emblématique. Contrairement à d’autres villes où les représentants du FN n’ont pas tenu la route sur le long terme, grâce à une gestion à l’évidence clientéliste, Jacques Bompard a su asseoir une véritable légitimité qui explique sa longévité. »

Que viennent chercher les électrices au Front national ?

« Arrêtons de considérer l’électeur comme purement rationnel. Rares sont ceux qui se déterminent à l’aune de programmes que, bien souvent, ils ne connaissent pas. Distinguons toutefois militants et électeurs. Parmi les personnes que je suis, certaines connaissent le programme du FN par cœur et s’y retrouvent. Mais, au-delà de ce noyau, il y a un électorat extrêmement volatil et souvent politiquement peu compétent. En brouillant les pistes, le FN en joue. Lorsqu’il se dit "premier parti ouvrier" ou "ni de droite, ni de gauche". Et, bien sûr, en affichant un programme simpliste. Bompard fait de même : à la tête de la Ligue du Sud, il n’est plus au FN. Ce qui n’empêche pas ces électrices, qui ont un rapport extrêmement localisé et banalisé à ce parti, de continuer à parler du FN et de voter pour aux élections nationales. »

Pour les militantes, pourquoi se retrouvent-elles dans ce parti ?

« Ce sont souvent des "femmes de" ou des "filles de". Il y a chez elles une tradition familiale avec des figures paternelles omniprésentes. Mais aussi des parcours matrimoniaux chaotiques qui les ont systématiquement ramenées dans des cercles familiaux ancrés à la droite de la droite. »

Quid des autres qui ne sont qu’électrices ou militantes occasionnelles du FN ?

« Pour ces femmes, rarement originaires de la région, ce qu’elles cherchent, en prenant leur carte au FN, c’est, avant tout, une vie sociale. Militer signifie participer aux activités de son conjoint et, en allant aux repas de la mairie ou du parti, on cherche à entretenir un réseau amical. D’ailleurs, le jour où il y a rupture avec leur conjoint, les liens avec le FN se rompent eux aussi. D’où la volatilité de cet électorat même dans des territoires durablement ancrés à l’extrême droite : l’une des femmes que j’ai suivies ira jusqu’à voter Royal en 2007 ! Disposant de pré-orientations politiques qui dessinent pour elles le champ de possibles électoraux, il y a chez ces femmes un va-et-vient entre différents groupes de référence (la famille, les amis, les collègues) qui peut expliquer cette volatilité d’un scrutin à l’autre. »

Et les jeunes ?

« Un certain nombre est issu de familles sans "mémoire politique" pour lesquelles le vote FN n’est pas a priori un problème. Parti protestataire au discours accessible prétendant apporter des solutions à leurs difficultés, le FN va apparaître comme une réponse politique possible pour des gens qui n’ont pas de réelle connaissance du champ politique légitime. »

Le rôle dévolu aux femmes par le FN n’est pas valorisant. Comment est-ce perçu ?

« Assignant à la femme un rôle traditionnel, le FN peut constituer un refuge pour certaines femmes fragiles socialement et placées dans des configurations matrimoniales de dépendance à l’égard de leurs conjoints. Pour les plus idéologues, cela épouse leur conception du rôle de la femme. »

Comment voient-elles Marine Le Pen ? 

« D’un côté, il y a la jeune avocate divorcée, ce qui peut séduire les plus jeunes. De l’autre, il y a la "fille de". Ce qui lui sera reproché par celles préférant un Gollnisch perpétuant l’image du parti. Reste qu’en ce moment, les médias présentent cette candidate comme étant "comme les autres". On assiste donc à une banalisation non plus à l’échelle locale mais nationale. Ce qui n’est pas sans poser question. »

Propos recueillis par Sébastien Boistel

Christèle Marchand-Lagier a notamment contribué à Droit(es) aux urnes en région Paca !, ouvrage collectif publié chez l’Harmattan.

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