Extrême-droite : et maintenant la conquête du pouvoir par l’échelon local ?

mai 2012
27 % pour Marine Le Pen, l'unique conseiller général FN de France (à Carpentras), les deux seuls maires d'extrême droite de l'Hexagone (à Orange et Bollène), le Vaucluse cumule les records... Le politologue Jean-Yves Camus analyse pour le Ravi les raisons de l’implantation locale de Jacques Bompard, le maire d'Orange candidat aux législatives, là où le FN a toujours échoué à exercer le pouvoir...

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Le maire d’Orange Jacques Bompard n’est plus l’élu du Front national depuis 2005. Après avoir rompu avec celui-ci, il se consacre désormais à la Ligue du Sud, qui appartient à la mouvance « identitaire ». Avoir quitté les rangs lepénistes lui réussit d’ailleurs plutôt bien : là où le FN a perdu toutes les autres villes conquises en 1995, lui est réélu avec une majorité renforcée et conquiert un siège de conseiller général tandis que son épouse réussit, sous la même étiquette, la même performance à Bollène. A quoi est due la réussite de cette implantation locale ? Que dit-elle sur la progression des idées nationalistes et identitaires dans notre pays ?

L’enracinement politique de Jacques Bompard ne s’est pas faite sur une étiquette partisane puisqu’il en a porté trois en moins de dix ans, mais sur l’adéquation profonde entre sa personnalité et la région où il s’est implanté. Le maire d’Orange a commencé à militer dans le combat pour l’Algérie française. Il est issu d’un milieu patriote (son père était officier) et il est représentatif du milieu des professions libérales : il a fait toutes ses études et sa carrière dans le sud entre Montpellier et Orange.

Dès son engagement au FN, il a choisi, plutôt que de briguer un destin national et de briller sur des sujets de « grande politique », de travailler des dossiers certes moins philosophiques mais plus proches des préoccupations quotidiennes de ses administrés : l’agriculture, l’environnement, la gestion municipale. Dans tous ces domaines, sa manière de faire est de considérer les choses du point de vue de « l’Orangeois moyen » et non des élites sociales, économiques ou culturelles. La question n’est pas de savoir quel jugement on porte, du point de vue moral ou idéologique, sur le contenu de sa politique et ses méthodes de conduite des affaires municipales : il faut d’abord constater que les électeurs y adhèrent en majorité.

« Le point de vue de l’Orangeois moyen et non des élites. »

Jacques Bompard, alors encore au FN, s’était opposé à Jean-Marie Le Pen sur un point essentiel : l’articulation du combat local et du combat national de l’extrême-droite. Le président du FN jouait les candidats itinérants et ne s’intéressait guère à trouver une ville où s’implanter. Il pensait que son parti gagnerait « par le haut », c’est-à-dire l’élection présidentielle. Au sein du bureau politique, Bompard, lui, misait sur le « frontisme municipal », c’est-à-dire la conquête progressive du pouvoir par l’échelon local, pari d’autant plus réaliste que le rapport de forces politique rendait impossible la voie choisie par Le Pen.

On aurait toutefois tort de penser que la stratégie du localisme a un horizon limité à la conquête et la conservation de quelques fiefs municipaux. Elle s’inscrit dans une vision idéologique cohérente dont le mouvement identitaire – reprenant en cela les idées de la « Nouvelle Droite » – est aujourd’hui l’incarnation. Son axe central est que l’identité est une notion qui se décline au plan local, puis régional et enfin national, ces différentes strates étant incluses dans une identité civilisationnelle européenne qui implique, de manière même euphémisée, le rejet de l’immigration extra-européenne, du cosmopolitisme et du relativisme culturels. La famille identitaire – la gestion orangeoise le prouve – aligne sa politique culturelle, mémorielle, associative et de communication sur ces choix et gère le reste d’une manière qui cherche à paraître technicienne, évitant les mesures inutilement clivantes qui avaient fait de la gestion de Vitrolles par le couple Mégret un repoussoir.

Dans la phase de recomposition des droites qui peut suivre l’élection présidentielle, l’expérience Bompard peut montrer la voie à des frontistes lassés de rester au seuil du pouvoir et qui poursuivront peut-être leur combat sous d’autres bannières, alliant un cap idéologique ferme à une approche plus proche du terrain, débarrassée des pesanteurs d’un FN hyper-centralisé et hyper-jacobin. Cette manière de faire peut rencontrer les aspirations à l’union de toutes les droites qui s’exprimera peut-être au sein d’une frange de l’UMP, notamment en cas de défaite de celle-ci.

Jean-Yves Camus

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