Les belges histoires du groupe Hersant

février 2012
Le mariage de raison entre le fils du papivore Hersant et le belge Rossel laisse les salariés de La Provence, Var Matin et Nice Matin dans l’expectative.

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Un journal, ça sert à tout. A s’informer, parfois. A éplucher les légumes, souvent. La Provence, Nice Matin ou Var Matin serviront-ils à emballer des frites grasses ? Les titres made in Paca du groupe Hersant Médias (GHM) sont sur le point de passer sous pavillon belge avec le mariage de raison entre l’empire exsangue de Philippe Hersant, le fils du « papivore », et le groupe Rossel. Ce dernier possède déjà La Voix du Nord, Nord Eclair, Nord Littoral, des hebdos et une télé régionale. Un ensemble qui pèse 230 millions d’euros et 1500 collaborateurs et qui lorgne désormais sur La Provence, Nice Matin, Var Matin et Corse Matin mais aussi sur L’Union de Reims et, à terme, Paris Normandie. Si le mariage se faisait, ce petit monde de consanguinité qu’est la presse quotidienne régionale (PQR) verrait naître le troisième groupe hexagonal, juste après Ouest France et Ebra. Un mastodonte de 900 000 exemplaires, 800 journalistes pour un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros (1)

Hersant et Rossel, c’est une vieille histoire. Dans les années 80, Robert Hersant, le père de Philippe, était devenu administrateur du groupe belge puis actionnaire avant de se faire sortir en 2005. Mais, à dire vrai, mettre le pied sur le pourtour méditerranéen n’est pas un premier choix pour Rossel. « Avant de discuter avec Hersant, Rossel s’était rapproché de Centre-France La Montagne, rappelle, à La Voix du Nord, Christian Furling, du SNJ-CGT. Cela aurait donné au groupe une véritable cohérence territoriale. Mais ils n’ont pu s’entendre. Alors, avec GHM, Rossel vise avant tout, avec L’Union, l’implantation en Champagne. » Et le syndicaliste d’ajouter : « Ce que cherche surtout Rossel, c’est l’extension de son périmètre. A l’heure du multimédia, la cohérence territoriale n’a plus vraiment d’importance. En ce moment, chez nous, les négociations achoppent sur la fusion des rédactions nordistes et la mise en place d’un outil pour mettre en commun les contenus de Bruxelles à Lille. Et demain, pourquoi pas, jusqu’à Nice ou Marseille. »

Un plan social larvé

La santé de GHM est aussi en jeu. Si Philippe est résident fiscal helvétique, son groupe affiche 200 millions d’Euros de dettes et peut s’enorgueillir d’être à l’origine d’un des naufrages les plus retentissants dans la presse, celui de la Comareg, éditeur du gratuit Paru Vendu, jadis considéré comme une vache à lait. Avec 1600 personnes licenciées, c’est l’un des plus gros plans sociaux de ces dernières années. A Reims, les salariés de la Comareg ont retenu le directeur général de GHM. Une info traitée en toute discrétion par La Provence.

Alors, chez GHM, on nous explique que « l’accord est en train d’être finalisé avec les banques et devrait aboutir d’ici quelques semaines. Ensuite, il n’y aura plus qu’à conclure le pacte entre les deux groupes ». Sauf que si, sur le papier, la gouvernance se veut partenariale, dans les faits, ce sont les Belges qui seront en position de force, Hersant ayant dû négocier ferme avec les banques et le gouvernement pour l’étalement de ses dettes. Au point d’ailleurs, croit savoir Le Canard Enchaîné, de devoir s’engager à faire la campagne de Sarkozy.

Autant dire que dans la PQR régionale, ballotée depuis des années d’un actionnaire à un autre (Lagardère avec Le Monde et son fameux « Pôle Sud » puis Hersant), ce nouvel épisode ne soulève pas l’enthousiasme. En 2007, Serge Mercier, du SNJ de La Provence, considérait pourtant « comme une bonne nouvelle le fait qu’un spécialiste des médias de proximité reprenne le groupe ». Changement de ton aujourd’hui : « Pour l’instant, nous n’avons que des bribes d’info. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’arrivée d’Hersant, nous étions 235 journalistes. Aujourd’hui, nous sommes 180. Difficile dans ces conditions d’aller à la conquête des lecteurs. D’ailleurs, notre diffusion recule d’environ 4 % par an. » Alors, si, à terme, Hersant s’efface, le syndicaliste ne regrettera pas un actionnaire « avec qui nous avons connu, en trois ans, deux pdg, dont l’un se distinguera en étant en même temps directeur de la rédaction… » Un actionnaire qui, surtout, depuis un an, « a mis en place un véritable plan social larvé, une trentaine de collègues nous ayant quitté dans le cadre d’une rupture conventionnelle. Avec le rapprochement entre Rossel et GHM, il y aura sans doute une nouvelle clause de cession. Et de nouveaux départs. »

Patrons de presse : pas des philanthropes

Sur Rossel, Serge Mercier refuse de se prononcer. Sinon pour dire que « c’est un groupe qui semble sain. Un groupe familial, même si, avec Hersant, on sait que ce n’est pas forcément un gage de qualité ». Reste qu’à La Provence, on se méfie des traditionnelles économies d’échelle et autres mutualisations des moyens. « Comme tous les journaux appartenant à Hersant, nous sommes abonnés à l’agence du groupe qui fournit, à tous les titres, un certain nombre d’articles prêts à publier. Des pages culture mais aussi des interviews politiques. En revanche, au niveau local, il n’y a que peu d’échanges de contenu. »

Quant au risque d’un rapprochement au niveau de l’outil de production, cela ne semble pas l’ordre du jour : « Notre imprimerie est flambant neuve, souligne Serge Mercier. Et le format de La Provence ne correspond pas à celui de Nice Matin et de Var Matin… » Gérard Pittochi, de la Filpac CGT à Nice Matin, reste méfiant : « On a déjà vu des centres d’impression flambant neuf démontés quelques mois après leur livraison. En outre, avec nos collègues du Courrier Picard, on a eu vent d’un projet de fusion du prépresse chez Rossel. Quant à Hersant, avec ses 200 millions d’euros de dettes, il avait tenté de vendre le siège de Nice Matin. On sait donc que les patrons de presse ne sont pas des philanthropes. Et que, derrière eux, il y a des banques. »

Sauf qu’elles ne sont pas les seules à tourner comme des vautours. Le magnat de la presse tabloïd britannique David Montgomery et ancien patron du fameux « News of the World » vient de manifester son intérêt pour les journaux provençaux d’Hersant en vue de les restructurer. L’ancien patron du fonds d’investissement Mecom a de la suite dans les idées : en 2007, déjà, quand Lagardère cherchait à se séparer de ces titres, il s’était positionné, faisant office de repoussoir. « Cette offre, c’est une vieille rumeur qui n’est absolument pas d’actualité », crache-t-on chez GHM.

Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, ce rapprochement entre Rossel et Hersant « est l’une des nombreuses manifestations de la mauvaise santé de la presse régionale. En 30 ans, celle-ci, sur une ville comme Marseille, a vu sa diffusion chuter de 40 %. Si, pendant longtemps, la PQR a été dominée par Robert Hersant, ce dernier n’a apporté aucune réponse éditoriale aux défis auxquels celle-ci était confrontée. A savoir : comment toucher un public plus jeune, plus urbain, plus féminin ? Et, aujourd’hui encore, la plupart des groupes de presse cherchent, à travers des synergies ou des effets de taille, à sortir de l’ornière. Alors qu’à mon sens, la réponse ne peut être qu’éditoriale. » Encore que, pour emballer des frites…

Sébastien Boistel

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