L’orientalisme ne met pas fin à la discorde dans les musées

août 2011
L’exposition « De l’orientalisme » qui a fermé ses portes, le 28 août, à la Vieille Charité de Marseille n'aura pas attiré, comme espéré, 150 000 visiteurs. Les Delacroix, Matisse, Renoir, n'ont pas fait illusion en éclipsant la décrépitude des musées marseillais. Explications.

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Après « Sous le soleil exactement » en 2007, « Van Gogh-Monticelli » en 2008, le musée de la Vieille Charité à Marseille accueillait jusqu’au 28 août une troisième grande exposition, « De l’Orientalisme ». Daniel Herman, adjoint à la culture à la ville de Marseille, espérait au moins 150 000 visiteurs. Loupé. La barre des 110 000 visiteurs a été juste dépassée. Passons sur le débat concernant l’intérêt que représente cette expo regroupant 120 tableaux témoignant de l’attraction qu’ont exercé les colonies africaines et orientales sur les peintres occidentaux (bien que la plupart, à l’exception de Matisse, n’aient jamais quitté leur atelier). Un peu décalé à l’heure des révolutions arabes de l’autre côté de la Méditerranée…

Le véritable malaise se situait ailleurs. Le soir du vernissage, vendredi 27 mai, les invités n’étaient pas seulement intrigués par les toiles de Delacroix, Ingres ou Klee, mais aussi par la cinquantaine de manifestants postés à l’entrée du musée, tout de noir vêtus et masque blanc sur le visage. « Nous avons décidé de sortir du bois pour sensibiliser le public à l’état déplorable des musées de Marseille », clamait Pierre Godard, délégué FSU et membre actif du « collectif culture » soutenu par l’intersyndicale anti-FO (1). Quand Jean-Claude Gaudin est arrivé, les manifestants l’ont hué, mais le maire de Marseille fit semblant de ne pas entendre. Et pour toute réponse à l’interpellation de Pierre Godard, Jean-Claude Gaudin lança : « Monsieur, vous ne votez pas pour moi, alors, je ne vous reçois pas. »

Une fois à l’intérieur de la Vieille Charité, à la tribune, le maire fit son numéro pagnolesque favori, le papet débonnaire et rassurant. « Si nous avons obtenu 2013, c’est bien que les bases de la culture à Marseille étaient solides, lança-t-il à la cantonade. La preuve, il y a autant d’abonnés à la Criée et au Gymnase qu’au stade Vélodrome ! » (2) Autour de l’assistance, un cordon de jeunes vacataires et de surveillants de salle. Puis, c’est l’heure de la visite, avec l’inévitable cohue… autour des buffets. Pour la plupart des visiteurs, difficile de croire les prédications alarmistes des manifestants, comme le souligne d’ailleurs Daniel Hermann. « La ville ne s’est jamais autant occupée de ses musées que pendant cette mandature. Nous investissons 80 millions d’euros pour mettre à niveau Borély, Longchamp et le musée d’histoire de Marseille. Les syndicats râlent pour se montrer car l’année prochaine vont se dérouler les élections professionnelles. C’est leur campagne électorale. »

40 % d’absentéisme chez les gardiens

Un argument difficilement acceptable pour quiconque fréquente les musées en dehors des vernissages. A Marseille, sur les 15 présentés sur le site de la ville, un est fermé définitivement (musée de la mode), un est fermé pour cause de capitale européenne de la culture (la maison Diamantée abrite l’équipe de la capitale), trois sont en travaux (Beaux Arts de Longchamp, Histoire de Marseille au Centre Bourse et Borély). Restent donc 10 structures culturelles. Pour la Nuit des musées du 14 mai, trois seulement étaient ouvertes : Cantini, le Musée d’art contemporain (MAC) et le mystérieux musée des docks romains. « Les autres musées devaient ouvrir, mais comme d’habitude à Marseille, il manquait des gardiens », constate Pierre Godard. 

Sans eux, rien ne peut se faire ! Il faut deux agents pour ouvrir et fermer un musée et autant de gardiens que de salles pour surveiller les visiteurs. « En moyenne, il y a 40 % d’absents sur les 280 agents du patrimoine, soutient Jean-Pierre Zanlucca, délégué syndical SDU13-FSU. Voilà qui explique la fermeture de certains musées ou de certaines salles. Et la raison est très simple : depuis Defferre, on envoie systématiquement dans les musées les fonctionnaires déclassés dont plus personne ne sait que faire. La ville pense qu’en les plaçant dans un endroit calme et tranquille, elle n’entendra plus parler d’eux. »

David (3), un jeune gardien, à peine arrivé dans les musées marseillais, ne compte pas s’y éterniser. « La plupart de mes collègues sont vraiment des personnes fracassées qui auraient plus leur place dans un établissement spécialisé que dans un musée, explique-t-il. Personne ne fait attention à eux. Personne ne leur fait de visite des expos qu’ils sont censés garder. La seule consigne qu’on leur demande d’appliquer, c’est d’interdire aux visiteurs de toucher aux œuvres. » Vérification faite auprès de surveillants de la vieille Charité. « Ce sont les cordonniers qui sont le plus mal chaussés, affirme une surveillante sous couvert d’anonymat. Ils disent qu’ils n’ont pas eu le temps… On fera comme d’habitude, on regardera les tableaux de notre chaise sans pouvoir expliquer aux visiteurs » Face à une telle considération, pas étonnant que les gardiens ne se sentent pas trop concernés par les projets de la ville. Ils refusent ainsi de changer de musée, y compris si celui-ci ferme. Même refus catégorique des gardiens de travailler les jours fériés, contrairement à tous les autres musées en France.

Vacataire, esclave moderne

Mais les gardiens ne sont pas les seuls à supporter le poids de la « décrépitude des musées marseillais ». François Hervé est vacataire dans les musées de Marseille depuis plus de 20 ans : « Un vacataire, c’est quelqu’un qu’on appelle pour lui demander d’accueillir le public et d’organiser une visite guidée. On nous propose un planning et nous sommes payés à l’heure. Quand nous finissons de travailler, nous n’avons pas droit au chômage. Nous sommes donc corvéables à merci. Or, la plupart des grandes villes comme Lyon ou Paris ont constitué des équipes de vacataires permanents, ce qui leur permet d’avoir une souplesse d’organisation et de sécuriser des emplois. Nous, c’est encore la préhistoire, d’où les problèmes d’organisation de visites. »

Nathalie Boisson, professeur d’arts plastiques au collège Fraissinet, confirme : « Si tu téléphones au Musée d’art contemporain (MAC), tu tombes sur l’accueil mais les réservations ne sont pas toujours possibles. Il faut souvent rappeler trois, quatre fois, pour t’entendre dire qu’il vaut mieux passer par un courriel. Mais là, souvent, par manque de personnel, le créneau demandé n’est pas possible. Il faut faire preuve de beaucoup d’anticipation, de souplesse… et de ténacité. Je connais beaucoup de professeurs qui abandonnent. » Pascale Stauths, salariée au MAC, ne dit pas autre chose : « Sur l’exposition Zineb Sedira, nous n’avons pas pu répondre à toutes les demandes scolaires, bien que nous commencions les visites dès 9h30 du matin. »

De fait, le budget alloué aux vacataires du MAC a diminué de 30 % en 3 ans. Quant aux expositions temporaires, c’est devenu le parcours du combattant pour en monter une. « L’équipe du MAC ne dispose que d’un budget de 30 000 euros pour monter une expo temporaire, ce qui est ridicule », affirme Pedro Morais, critique d’art et aujourd’hui programmateur des Rencontres internationales des arts multimédia (RIAM). Manque de fonds, manque de personnel, au final, l’exposition Zineb Sedira n’a attiré que 6 000 visiteurs en 5 mois (dont 60 % de scolaires). Et sur un an, c’est la dégringolade : le MAC séduit péniblement 30 000 visiteurs par an quand le MAC de Lyon cartonne avec 200 000 visiteurs.

Par Stéphane Sarpaux

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