Bobos contre babas

juillet 2010
Plusieurs générations de néo-ruraux cohabitent à Forcalquier. Les uns reproduisent allègrement les valeurs des autres. Tout en les cuisinant à leur sauce.

« Je ne vois pas qui sont les nouveaux néo-ruraux… » Ancien baba de Longo Maï, François Bouchardeau a besoin de quelques instants pour refouler le spectre de sa propre expérience. Et d’en identifier quelques-uns : un groupe avec un projet d’habitat collectif ou encore les salariés des coopératives de BTP Arbats et Scab 04.

Coïncidence – mais Forcalquier est petit -, Fabien Plastre et sa compagne, 34 ans tous les deux et une petite fille de trois ans, sont potes avec les travailleurs du bâtiment. Le couple s’est installé en juillet dernier à Saint-Étienne-les-Orgues, à une dizaine de kilomètres de Forcalquier. « On avait traîné nos guêtres dans le coin, mais on voulait surtout quitter Marseille », explique le trentenaire, photographe et musicien. L’intégration se passe au mieux : un été à sillonner les fêtes du coin, celle de Longo Maï pour débuter. Arrivés tous les deux sans boulots, ils bossent aujourd’hui pour des lieux culturels reconnus. « On est tous les deux chargés de diffusion. Moi de la compagnie Chiendent Théâtre, Audrey de La Cimenterie, dont elle assure également l’administration », poursuit le « paubo », terme que Fabien Plastre préfère à bobo, question de revenu. Ils cultivent aussi un jardin loué à une voisine.

Vie professionnelle exceptée, Sylvain Musseri et Mélissa Menard, qui télétravaille pour une association basée à Marseille, ont un parcours quasi identique. La trentaine et deux enfants, ils ont posé, il y a également un an, leurs valises à Reyanne, autre village du pays de Forcalquier. Pour les mêmes raisons : des connaissances, une envie de quitter Marseille – surtout « la ville » – et quelques projets en tête. D’abord, pour Sylvain, la reconversion en « paysan » chroniqueur culinaire du Ravi ; ensuite, l’installation de la famille dans un habitat collectif. Ils partagent le projet avec 12 autres personnes : des couples avec enfants, des retraités et des célibataires. « Le concept est né de l’expérience communautaire. Chacun met la main à la pâte et il y a des lieux communs, mais l’habitat est individuel », explique le fondateur de l’Équitable café, à Marseille.

« Les nouveaux néo-ruraux renouvellent les pratiques existantes »

Malgré ses pertes de mémoire, François Bouchardeau croise à l’occasion les deux couples. Au bar de la Fontaine par exemple. Tenu par Farid, le troquet installé sur la place éponyme, dans le centre ancien de Forcalquier, est un des lieux de la ville où se rencontrent les différentes générations de néos. Récemment, elles se sont d’ailleurs mobilisées ensemble pour la réinstallation du patron dans ses murs à sa sortie de prison, après onze mois de préventive pour une fausse accusation…

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Pourtant, l’ancien responsable de feu HB Editions juge sévèrement la jeune génération, « moins politique ». Encore un vieux réflexe ? Lui-même est arrivé en 1973, à 16 ans, attiré par la communauté fondée par Rémi, Rolland Perrot dans le civil. « Je voulais partir de la ville, voyager. J’ai été attiré par le côté militant et politique de la communauté. On pensait que c’était bien de construire une base libérée du capitalisme, une société alternative », raconte le quinqua.

Son ancien compère, Alex Robin, est largement plus coulant. Arrivé à la même époque, au même âge et pour les mêmes motivations à Longo Maï, le responsable de Radio Zinzine apprécie l’apport des nouveaux venus : « Ils proposent des expériences et des initiatives autonomes différentes. Comme la ferme à terres à géométrie variable inaugurée à la mi-avril. » « Il y a un renouvellement des pratiques de la part des néos néo-ruraux, mais également un attachement à l’existant. Les deux réseaux se croisent », résume de son côté Sylvain Musseri.

Au risque de se renfermer, comme le croit Vincent Baggioni ? Ce trentenaire a également quitté Marseille pour Forcalquier il y a un an, avec femme et enfants. Mais, ce sociologue refuse d’être classé parmi les néo-ruraux : « Je suis plutôt dans une situation intermédiaire entre la campagne et la ville : j’aime mon jardin, mais aussi Marseille. Et je ne m’inscris pas dans un réseau ou un clan. Ça enracine, ça fait oublier l’ailleurs. Même si elle est poreuse, c’est cette logique qui prévaut chez les néo-ruraux. » Une nouvelle logique communautaire ?

J.-F. P.

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