Guerre politique des ordures marseillaises

juin 2010
En décidant en 1983 de privatiser une partie de la collecte des ordures et du nettoyage de la voirie, Gaston Defferre a placé les poubelles au centre des combats politiques à Marseille. La tradition se perpétue.

Fin janvier, Eugène Caselli s’est finalement résolu à ne pas bouleverser les traditions locales. Dans la droite ligne de la décision de 1983 de Gaston Defferre (1), le président socialiste de la communauté urbaine de Marseille (CUM) a ravalé sa proposition, annoncée dans l’émotion de la révélation d’une enquête sur les marchés des poubelles marseillaises, de remunicipaliser la collecte des ordures et le nettoyage des rues.

Eternel dauphin de Jean-Claude Gaudin, le député UMP Renaud Muselier a eu chaud (2). Le projet initial, qui a mis le feu à Marseille l’automne dernier, prévoyait de rebattre les arrondissements dévolus au privé (un tiers). Une partie de sa circonscription (4e et 5e arrondissements) était concernée. Et ça n’avait rien à voir avec le hasard : en 2008, les municipales s’y sont jouées. « Dans le 4e, Jean-Noël Guérini voulait casser l’ossature politique de Bruno Gilles [le sénateur-maire UMP du secteur, Ndlr] à partir des cantonales en ventilants ses relais, les cantonniers et syndicalistes FO. Ils ont tellement eu peur, qu’ils se sont vendus à lui », assure Pierre Godard, 38 ans de camion poubelle et ancien responsable FSU des Territoriaux de Marseille et de MPM (3).

Si le choix de « Gaston » d’instaurer une dose de privé était éminemment politique (4), le rôle de FO, syndicat majoritaire à la mairie et à la CUM, ainsi que dans le secteur de la propreté en particulier, ne l’est pas moins. « On ne peut pas dire que la récup de FO n’existe pas et que le syndicat ne joue pas un rôle politique », reconnaît prudemment Marc Poggiale, élu communautaire PCF et membre de la commission des appels d’offre. Pierre Godard est plus direct : « Depuis Defferre, FO est en lien direct avec le directeur de cabinet du maire et dispose d’importantes prérogatives : la nomination des cadres, avec droit de veto sur celles de la hiérarchie, et de l’entregent pour les attributions des HLM. En contre-partie, ses adhérents sont encartés à l’UMP et rendent service, comme en période électorale. » Une forme de prime au pouvoir en place…

« Les adhérents FO, encartés UMP, rendent service »

Renaud Muselier n’a pas oublié que la propreté est la principale préoccupation des Marseillais. Jean-Claude Gaudin a imposé ce thème dans la campagne de 1983, son ex-dauphin poursuit l’œuvre. Avec l’arrière-pensée de profiter des déboires d’Eugène Caselli pour récupérer un siège qui lui était promis ? Renaud Muselier ne ménage pas ses efforts : cadeau empoisonné au président de la CUM, le livre Gomorra, lors de la révélation de l’affaire des poubelles ; soutien apporté en direct live début février aux ouvriers du délégataire danois ISS, en grève contre la remunicipalisation d’une partie du 2e arrondissement… Un activisme qui fait aussi sourire. En particulier François-Noël Bernardi, président du groupe PS à la CUM, et membre de la commission des appels d’offres : « Lors du vote du budget le 25 mars, Renaud Muselier a expliqué en détail toutes les bonnes raisons qu’il avait de voter contre. Il s’est pourtant abstenu. Certainement parce qu’il savait ne pas pouvoir entraîner dans un vote négatif aucun des maires (éventuellement 2), en tous cas pas celui de Marseille, et pas plus de 30 ou 40 conseillers communautaires. » Et d’insister : « Il ne veut pas apparaître comme le représentant de 30 ou 40 conseillers. »

Le renouvellement en juin des contrats de collecte et de propreté va peut-être dépolitiser et dépassionner le sujet. « On a inversé les critères d’attribution par rapport aux précédents appels d’offre : 60 % pour le prix, 40 % pour la qualité. Parce que le prix, c’est la seule chose dont on soit sûr », précise François-Noël Bernardi. Un manière feutrée de dire que la piètre qualité su service cachait jusque-là des pratiques inavouables ? La justice enquête…

Jean-François Poupelin

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