L’or marron

juin 2010
Bien qu’elle – ou parce qu’elle – traîne encore une vilaine réputation l’industrie des déchets se porte très bien. Explications.

« Comme le dit un vieux proverbe anglais : là où il y a de la merde, il y a de l’argent à faire. » La formule de Gérard Bertolini, économiste spécialiste des déchets (ou rudologue), résume parfaitement les rares chiffres facilement accessibles sur le marchés français des déchets : de 1994 à 2004, le coût global de leur gestion a grimpé de 4 milliards à 11 milliards d’euros. Celui des déchets municipaux a été multiplié par 2,7 (1). « La mafia a fait des déchets sa 4e source de revenus, derrière la drogue, la prostitution et les jeux », précise également l’économiste.

S’il y a « de l’argent à faire » avec les ordures, difficile de dire qui en profite. Y compris en Paca. Contactées, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie est restée évasive et Veolia muette. Pourtant, avec ses filiales directes – la Société des Eaux de Marseille (Sem) ou Sud Est Assainissement – , les filiales de ses filiales – Bronzo, Silim, Onyx Méditerranée, CGEA pour la SEM – ou les filiales des filiales de ses filiales – Dragui Transport pour Onyx Méditerranée -, l’ex-Compagnie générale des eaux se taille une substantielle part du généreux gâteau. Un dernier chiffre : pour la seule communauté urbaine de Marseille, le futur marché de la collecte et de la propreté s’élève, sur six ans, à 242,7 millions d’euros minimum (2). Hors taxes.

« La pénurie est entretenue par les grands groupes »

L’avenir s’annonce florissant pour les industriels du secteur. « Si les grands groupes ont des stratégies d’amélioration de l’environnement, ça n’est pas obligatoirement à moindre coût. On se dirige également vers une pénurie d’installations, car ouvrir une décharge ou installer un incinérateur est de plus en plus difficile », explique Gérard Bertolini. Comme l’a montré la lutte contre l’installation de l’incinérateur marseillais à Fos-sur-Mer, les populations sont devenues hostiles à l’installation de ce type d’infrastructure dans leur voisinage. Allez savoir pourquoi…

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Résultat, il est désormais fréquent que les ordures voyagent. Depuis bientôt un an, 20 à 40 camions pleins à craquer d’ordures ménagères, partent chaque jour des Alpes-Maritimes direction la Mayenne, l’Ain et, surtout, la décharge de Septèmes-les-Vallons, à côté de Marseille. Raisons : la fermeture de celle de Villeneuve-Loubet, arrivée à saturation, et l’absence d’installation de remplacement. Le plan départemental d’élimination des déchets est en souffrance depuis le milieu des années 90… Le ballet devrait durer encore six à huit ans ! Véolia, qui gère les deux décharges et fournit les camions, se frotte les mains. « On a calculé que le surcoût s’élève entre 15 et 20 millions d’euros par an », annonce Françoise Maquard, présidente de l’Union départementale vie et nature du 06. Et « d’angoisser » : « On ne connaît ni l’augmentation qui va nous être imputée ni les termes du marché ! » « La pénurie est entretenue par les grands groupes, car moins on est, plus les tarifs sont élevés », poursuit Gérard Bertolini.

« Concurrence de crocodile »

Une « concurrence de crocodile » résume l’économiste. En clair : « Respect du territoire de l’autre, pas de guerre des prix mais surenchère sur la qualité pour les augmenter, chasse des nouveaux concurrents. » En-dehors des décharges – « l’activité la plus rentable grâce aux coûts d’exploitation minimes », assure le rudologue -, la concurrence est à l’avenant. Une nouvelle fois, Paca ne déroge pas à la règle. Les acteurs s’y font rare : Suez et surtout Véolia via leurs filiales régionales, Pizzorno dans le Var et quelques aventuriers (le Danois ISS, la SMN du sulfureux montpelliérain « Loulou » Nicollin) et entreprises locales toujours très utiles. Exemple : la désormais célèbre Provence Recyclage. Son PDG est à l’origine des déboires de Bernard Granié, président socialiste du San Ouest Provence (le Ravi 71). Gérard Calvière a avoué avoir versé 300 000 euros de bakchich sur trois ans à l’élu de l’Etang-de-Berre, qui nie les faits, contre l’attribution d’un marché de traitement des ordures (3).

Pas franchement libre, la concurrence est également fortement soupçonnée d’être carrément faussée. le Ravi a entre les mains deux documents de l’enquête lancée en 2005 par la répression des fraudes (ex DGCCRF) sur le secteur des déchets en Paca et Languedoc Roussillon. Enquête qui alimente l’affaire des poubelles marseillaises dans laquelle est suspecté Alexandre Guérini, entrepreneur du secteur et frère de Jean-Noël, président socialiste du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Ils sont très instrucitifs : présentation par le menu des « liens commerciaux et/ou juridiques et/ou financiers » des filiales de Veolia, constat d’une « situation de concurrence déficiente […] marquée à la fois par des présomptions d’échanges d’informations entre soumissionnaires pour favoriser l’un d’eux et par la possibilité d’envisager l’hypothèse d’un rééquilibrage des attributions entre eux sur d’autres marchés […] » N’en jetez plus !

Conclusion à la Jean-Pierre Gaillard de Gérard Bertolini : « L’industrie des déchets reste un secteur porteur à la possibilité de rentabilité élevée. »

Jean-François Poupelin

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